Momon Maguy Chayne Sporting-Club Salonais Rugby Salon

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Momon et Maguy    Si loin, si proches

  

           Je me rends compte en relisant mon écrit de dimanche que je suis passée sur six ans de ma vie, de 1932 à 1938, et pourtant que de choses sont arrivées, pas très belles, c’est vrai, et comme j’ai plus facilement l’habitude de voir le verre à moitié plein qu’à moitié vide, ces années, je les garde au fonds de moi et elles ont du mal à refaire surface.


Donc, en 1932, on était rue Eugène Pelletan. Quand tout a été installé, le magasin, maman et sa couture, papa est parti pour Nouméa avec Mr Vial, embauché comme électricien sur un énorme bateau «Le Ville de Strasbourg». Je nous revois avec maman et Nanotte, regarder papa monter à bord, et nous faire de grands signes d’au-revoir. Maman pleurait je crois bien, puis, nous sommes montées à Notre-Dame de la Garde pour voir partir ce bateau qui, comme Marius, emportait papa. Mais maintenant, je pense que maman, qui était très pieuse, avait dû aller faire une prière à la Vierge des marins, car elle était croyante maman, ça aussi, c’était une raison de dispute en plus entre eux. 

 Marcel et ses errances

      Maman passe vite sur les disputes incessantes entre ses parents. Un jour qu’elle était en veine de confidence, et moi d’écoute, elle m’avait raconté qu’il lui était arrivé de menacer son père avec un pique-feu pour éviter qu’il ne batte sa femme…

Le bateau de Marcel
"Ville de Srasbourg"

    Mon grand plaisir, c’étaient les commissions pour maman : Dix sous de jambon, cinq sous de râpé (le fromage de gruyère que l’épicière mettait sans un gros moulin et qui ressortait tout râpé) un gros pain blanc (il y avait des restaurants, des pains marseillais fendus, et des pains de campagne qu’on appelait pains blancs parce qu’ils étaient pleins de farine). Puis, mais pas tous les jours, j’allais à la boucherie, acheter de la poitrine d’agneau pour faire le ragout de pommes de terre. Et pour moi, la commissionnaire, il y avait un sou, pour m’acheter des « grains de millet », ma folie, j’en garde un goût jamais retrouvé dans aucun autre bonbon, c’était tout petit, la boulangère avait ça dans un grand bocal en verre au couvercle pointu, avec un sou, j’en avais un petit paquet qu’elle pesait et me pliait bien dans un papier blanc ; je n’aimais que ça, les douceurs et moi, on n’a jamais fait bon ménage. Puis je montais chez grand-père à la gare, toujours en trottinette, pour chercher les légumes pour la soupe, avec bien sûr, ma sœur toujours accrochée devant moi, car elle pleurait tant que maman me disait « Maguy, mène ta sœur, sinon, elle va pleurer une heure ». Et vlan, me voilà partie, avec ma sœur, mon sac et ma trottinette, par une petite rue où habitait à gauche la famille Larivière : Leur fille Louisette était en classe avec moi, c’étaient des gitans, mais sédentaires, ils passaient une fois par semaine dans les rues « Peaux de lièvres, peaux de lapins » et achetaient donc les peaux que l’on gardait précieusement, enfilées sur deux morceaux de bois, ils devaient en donner deux ou trois sous, je ne m’en souviens plus. Cette maison, qui existe toujours, je n’y ai jamais mis les pieds, c’était noir, sale, la mère avait un vieux foulard sur la tête et trente-six jupes et jupons toujours gris, je passais vite là-devant, j’avais une peur bleue.


Papa est revenu quatre mois après de son premier voyage, il est resté deux mois, puis est reparti pour le deuxième et dernier. Il nous avait rapporté de Tahiti des colliers de coquillages, de grosses conques brutes (qu’il a décapé depuis), il m’avait promis des poissons volants qui, me disait-il arrivaient envol sur le pont du navire, mais les cancrelats avaient mangé les poissons qu’il avait pendus à la tête de son lit. Il ne restait presque rien de ces merveilles qu’il m’avait promises, le régime de bananes tant attendu et pendu vert dans sa cabine avait muri pendant les semaines du retour, il ne restait sur un gros tronc que deux énormes bananes, pendues au plafond de sa cabine. Il faut dire qu’à l’arrivée du bateau, on avait droit de monter à bord. C’est comme ça que j’ai fait la connaissance de Blanchette, un immense noir, on ne lui voyait que les yeux et les dents quand il m’a porté dans ses bras pour me faire visiter le bateau, suivi de maman qui tenait son Marcel d’un côté et Nanotte de l’autre, j’étais très fière, mais il me faisait une peur bleue, il riait tout le temps et on ne voyait que ses dents.


  

  Papa parti pour quatre mois, la vie a repris à la maison, maman a vendu tout ce qui était dans le magasin, c’est devenu son atelier de couture, la vie était plus calme. Le jeudi et le dimanche, on me mettait au patronage des sœurs du Couvent, mauvais souvenir pour moi, je ne me suis jamais senti à mon aise dans ce monde-là : Il y avait vraiment deux castes : les demoiselles riches, celles des châteaux, qui avaient leur place réservée à l’église, à qui il fallait ramasser les boules de croquet pour qu’elles n’aient pas à courir les chercher, et nous, moi surtout, qui n’avions pas le droit de jouer ni de toucher un maillet de ce jeu qui me fascinait : Aussi dès que je l’ai pu, j’en ai acheté un pour Annie, un qui soit bien à nous. C’est là aussi que j’ai vu ces demoiselles faire la prière avec de petits coussins sous les genoux ; mais nous rien, à genoux sur le marbre froid et dur de la petite chapelle : Les privilèges existaient encore !